David SILLET est comédien professionnel. Il vient de Rochefort s/Mer, en Poitou Charente. A 40 ans, il en compte 24 d’expérience en impro. Ancien de l’équipe de France d’impro junior, il a, depuis, cofondé quelques compagnies « PDG et Cie », « La Ligue Impro Savoie » à Chambéry, « Corpus Bang Bang » à Lyon… Improvisateur, il pratique le jeu masqué. Et parfois même fabrique, dessine, sculpte et met en couleur ses propres masques de scène.
Dans un contexte où nous sommes tous-tes amené-e à porter des masque, il m’a paru intéressant de recueillir son regard sur le sujet et de lui demander quelques piste de travail.
Au quotidien, est-ce que tu as constaté que les gens ont modifié leur manière de communiquer ou sont allés vers des codes de communication rappelant un peu ceux du jeu masqué ?
Le masque sanitaire ressemble à un demi masque neutre, qui fait disparaître la partie la plus humaine de l’être social que nous sommes, c’est à dire la bouche. Et la plupart des gens ne savent pas utiliser volontairement leurs yeux pour s’exprimer, ou ne supposent pas la puissance du regard. Avec le masque sanitaire, on n’est pas sur le même type et ni dans le même contexte qu’avec le masque de théâtre…
Moi, je me suis amusé à jouer avec mon regard pour intensifier ma parole, mes émotions, etc. Certainement que ceux qui pratiquent le masque se sont aussi amusés à ce jeu là. Sans doute que cet exercice à eu un impact sur mes interlocuteurs mais ça ne vaut quand même pas un masque de théâtre. Surtout que l’on ne parle pas, ou peu, avec un masque sur la bouche.
Et pourtant, les ateliers de théâtre d’impro reprennent, avec des consignes de sécurité qui changent nos manières de les appréhender. Souvent le masque y est présent, avec des conséquences sur l’expression, le relationnel. Est-ce que c’est ce que tu suggérerais en premier aux coach d’impro en ce moment, travailler la puissance du regard ?
Oui, l’adversité contraint l’artiste à trouver des astuces pour transmettre sa pratique. Cette contrainte peut être transformée en exercice pour travailler le jeu de regard et la projection de la voix que le masque étouffe. Mais ça reste une contrainte forte, dans l’art de l’oralité. D’autant qu’ il y a plusieurs limites à ce masque.
Ce n’est pas un masque de théâtre il ne prend pas la lumière comme il faudrait… Un masque de théâtre, selon sa structure, sa construction, ce que le facteur de masque veut donner, reçoit la lumière d’une manière bien particulière. Voire, même, il est peint pour la recevoir d’une certaine manière, généralement du dessus. Le masque n’est pas plat, il est en 3D avec des formes, même le plus simple des masque neutre. Le masque chirurgical, ça ne dit rien…
Si vous mettez des masques de théâtre sur une table, le masque raconte quelque chose, dit quelque chose « au » comédien. Un masque sanitaire, il ne dira rien.
Et puis les demi masques de théâtre cachent le haut, pas le bas. Même si le masque ne se contente pas que du regard, et que c’est une discipline qui va chercher vers une expression corporelle. (D’ailleurs, dans certains de mes masques, on ne voit pas les yeux du comédien, ils n’existent pas sans le corps du comédien…)
Bref, utiliser le masque chirurgical en exercice : oui. En spectacle, je ne suis pas sûr de la pertinence de l’objet.
Et pourtant, il nous faut faire avec, au moins en atelier… Aurais-tu des exercices à proposer pour faire appréhender le jeu masqué, en version masque chirurgical ?
Alors, normalement, si on respect les distances physiques, les lavages de mains réguliers, les chaises utilisés par la même personne, le port du masque n’arrive que si vraiment le distanciation physique est impossible. C’est à dire à la fin du protocole.
Et en même temps, c’est l’occasion… 🙂
Oui.
Évidement, on peut penser à tous les exercices autour du jeu de regard.
Utiliser le fait d’avoir un masque pour s’empêcher de parler, tout miser sur le corps, l’expression corporelle.
On peut aussi essayer de donner une personnalité à ce masque… Qu’est ce que ça fait si je gonfle les joues ? met la bouche en cul de poule ?
Ou si j’en fais le moteur de dialogue : Quand je n’ai pas le masque, je peux parler / Quand j’ai le masque je ne peux plus parler mais je dois continuer à jouer.
Dans ce cadre sanitaire, plus que le masque, je trouve intéressant de travailler sur la distanciation physique. Nombreux sont les comédiens à se coller pour jouer.
Plus vous jouez avec de l’espace, plus vous jouez grand, plus l’improvisation respire.
En somme, tu proposes que, masqué-e-s ou pas, les mesures sanitaires soient l’occasion de donner de l’air…? Au delà de la performance de ce qui peut donner de la personnalité à UN personnage à travers sa gestuelle ou son regard, d’explorer du côté de la relation entre LES personnages ?
La relation passe aussi par les gestes, le toucher, le non-dit, le silence… Et le masque est très fort pour ça. C’est un bon exercice pour les comédiens improvisateurs qui ont tendance à beaucoup parler, plus que de jouer les lieux, les situations, …
Je conseille d’en profiter pour travailler ce premier niveau d’intimité des personnages qu’est la distance, l’intensité de la relation, le type de relation.
Pourrais-tu développer un peu sur la manière que tu aurais de travailler sur la distance?
Amusez-vous à voir ce que ça fait, ce que ça écrit, de jouer à 50cm, à 1m, à 1m50, 2m. Refaites l’impro avec ces différentes distances. Ou donner 2 consignes différentes à 2 comédiens. L’un doit jouer à 50cm de l’autre alors que l’autre doit plutôt se mettre à 1m50…
C’est de l’écriture plateau pure. Transformer une contrainte en expérience d’écriture.
Mais la distance, c’est aussi le niveau d’intimité des personnages. Et sur la consigne précédente, on peut placer une relation : Une mère absente pendant l’enfance de sa fille veut rattraper le temps perdu. Elle va chercher à être proche de sa fille (50cm) mais sa fille ne l’entend pas de cette oreille (1m50). Une dynamique va s’installer.
David, merci beaucoup pour ces pistes de travail.
Merci à toi.
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