Lorsque l’on aborde la question du conte, je donne du texte à apprendre. Et c’est une remarque que l’on me fait à chaque fois : « Mais je croyais que c’était de l’impro! »
Au début je grommelais un peu sans plus me justifier. Maintenant cela me permet d’aborder une explication technique…
Je donne du texte à apprendre parce que c’est le meilleur moyen de travailler les compétences de conteur/conteuse.
En fait, un improvisateur est à la fois un auteur comédien qui met en scène immédiatement ses propres idées.
Cela fait 3 métiers en un.
3 vrais métiers.
Or la plupart du temps en impro, on tâche de toutes les travailler en même temps.
On utilise des astuces et des recettes supposément efficaces pour être au four et au moulin. Mais incarner un conteur demande, selon moi, un apprentissage fin, qui ne peut pas se satisfaire du fait que l’on soit focalisé sur la production cohérente du texte. Donner du texte, c’est décharger de la fonction d’auteur. Cela permet de conserver toute son énergie sur les compétences de comédien et de metteur en scène.  Je pense que cela est important pour intégrer les compétences d’acteur. (Sinon, ça ne serait pas un métier, non?) Apprendre à vivre plutôt que jouer, utiliser un sous-texte, utiliser tout son corps, donner dans l’hallucinose, cela demande des ressources qu’il faut parfois dégager pour s’entraîner séparément.
Donc un peu de texte de temps en temps, c’est utile pour mieux s’en passer plus tard.

Cette séparation des rôles est mise en exergue dans un format de spectacle qui me plait bien qui s’appelle un Battle de Metteurs en Scène. 3 ou 4 metteurs en scène disposent d’un pool de comédien-nes improvisateurs-trices qui répondent à toutes leurs demande en temps réel. Chaque metteur en scène met, en direct, en scène une impro en donnant des indications à voix haute, comme le faisait parfois Kantor. Après que tous soient passés, le départage (dont on se fiche un peu…) se fait à l’applaudimètre puis on refait un tour. Chaque metteur en scène dispose d’un total de 20 ou 30 minutes qu’il doit répartir comme il le souhaite dans chacune des 3 impros (pour 3 rounds). Les impro y sont très particulières. Elles ont une cohérence d’ensemble et défendent un vision. Dans ce format, on peut se permettre de prendre des partis impossibles autrement. Le concept est, en soi, un très bon exercice. Je l’utilise avec mes élèves les plus chevronnés. Il leur permet d’apprendre à voir la scène dans son ensemble, de comprendre l’intérêt de travailler l’impro à objectifs et bien sûr de « travailler leur metteur en scène. »

Pour finir cette séparation des rôles m’a permis de prendre un peu de recul sur cette expression que l’on utilise fréquemment « Devenez acteur de votre vie ».
Je pense maintenant que cette injonction, qui me paraissait un but assez noble, est un piège.
ça a l’air splendide et plein de potentiel mais c’est une forfaiture.
L’acteur dit le texte qu’on a écrit pour lui et le fait de la manière qu’on lui a dicté.
Si vous voulez prendre votre vie en main, il me parait judicieux de viser AUSSI les postes d’auteur et de metteur en scène.
Sinon, même si vous jouez bien, vous n’êtes qu’un pantin.
Donc devenez auteur de votre vie.
Devenez son metteur en scène.
En enfin, vous jouerez.
(3 lignes à lire et relire en écoutant une musique de fin lénifiante, genre ça. C’est bien ça puis aller conquérir le Monde, mais mettre des moufles d’abord car il fait un peu froid dehors.)

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