En consultation, je raconte souvent cette anecdote-blague:
Un homme se promène dans la rue. Soudain, il aperçoit une vieille dame et un jeune homme qui se battent. Des éclats de voix arrivent jusqu’à lui.
« Mais lâchez-moi jeune homme! » » Donnez moi ce porte monnaie, vieille bique! »
Il n’en faut pas plus pour qu’il comprenne le drame qui se joue et intervienne.
Il cours et se jette de toutes ses forces sur le gars qui secoue la vieille. Le gars tombe à terre, complètement sonné. Notre héros du jour ramasse la petite bourse, tombée lors du choc et la rend à la dame.
La petite vieille se confond en remerciement et repart pour son important rendez-vous pour le dépistage du cancer du sein.
Il appelle la police qui vient cueillir le garçon.
Et après avoir entendu celui-ci dès qu’il a repris ses esprits, les policiers arrêtent notre « héros », l’accusant de complicité avec la célèbre Vieille Détrousseuses des arrêts de bus.
Si je vous raconte cette blague c’est qu’un des gros recadrages que j’ai subi en reprenant des cours débutants peut se résumer ainsi : « Tu n’es pas indispensable. Tu n’as pas à sauver l’impro. Et d’ailleurs qui es-tu pour dire qu’elle a besoin d’être sauvée? »
TILT! Connexion dans mon esprit égaré…Mais c’est bien sûr!
Encore une fois, un principe relationnel s’appliquait à l’impro…
Le principe en question : Celui qui fait que votre intervention auprès de quelqu’un sera une aide plutôt qu’un sauvetage…
Car si l’aide peut-être bienvenue et saluée, le sauvetage peut faire de vous, et bien malgré vous, un-e persécuteur-trice puis une victime… Relisez la blague… Dans le genre, et plus connu, il y a aussi Jésus Christ, qui a mal fini…
Voici donc les règles de l’aide
- La demande d’aide doit être clairement verbalisée ;
- Elle doit être cadrée dans le temps et dans son contenu (« Voilà ce que je peux faire pour toi…jusqu’à… »)
- L’aidant-e ne doit jamais faire plus de 50 % du chemin et doit vérifier que la personne aidée a fait sa part
- L’aide doit toujours avoir pour but de rendre l’autre autonome (mieux vaut lui apprendre à pêcher que lui donner du poisson).
- Cette aide doit comporter une contrepartie afin que l’autre ne se sente pas en dette
Transposons à l’impro…
Pour cela, remplaçons le mot « Aide » par le mot « Service » et voyons ce que ça donne…
-La demande de service doit être clairement verbalisée.
Bon, on commence déjà par une partie difficile. Mais cela correspond en plein au type de service qu’on nomme « l’appel » (« Passons au salon pour patienter, ma fille va arriver d’une minute à l’autre… »). A défaut d’appel clair, utiliser un élément évoqué auparavant dans l’histoire par le-la leader, pourra adoucir le service et renforcer la cohérence en créant une connexion dans la structure de l’histoire. (Coup de téléphone d’un plombier qui avait été évoqué 2 minutes avant dans une description.) Le service « Coup de théâtre » est à l’opposé. Sauf si c’est dans le style de l’impro (Vaudeville, Séries des années 2000,…), c’est souvent peu apprécié. Le summum étant le service « Balayage » (« Bon, les dingues on se calme, c’est l’heure de la piqûre », dans une impro, un peu confuse certe, mais qui n’a rien à voir avec le monde de la psychiatrie!)
Le travail de connaissance du groupe avec lequel on improvise est important, parfois, il y des demandes de service non-verbales mais réelles. Et tout le monde n’a pas les mêmes signes extérieurs de panique/sécheresse/solitude intérieure. S’élancer sur une impro juste parce qu’on trouve qu’elle ne va pas assez vite peut venir briser un moment d’émotion…
-Le service doit être cadré dans le temps et dans le contenu.
Sont visés ici, les gens qui prennent, sans raison, 45 secondes pour apporter la nouvelle information… Ceux à qui le public, les joueurs, et même les personnages ont envie de dire « Venez en au fait » (ou plus trivialement » Accouche!!!!!!!! ») Et puis aussi ceux qui ne sortent pas de scène ensuite…
Pour reprendre Finpoil, sachez sortir.
Pour le contenu, haro sur le cabotinage! Servir pour ne rien apporter… Merci! Au rayon des se(r)vices divers et (a)variés, remettons ici le « balayage » ou encore le service « ça vaut rien », consistant en la destruction simple de la dernière proposition.( La roue crève, soudain une fée surgit et répare la roue.)
-Le-La serveur-e ne doit jamais faire plus de 50 % du boulot (et doit vérifier que le leader a fait sa part.)
Le « ça vaut rien » en est le parfait contre-exemple.
Vouloir absolument que l’histoire prenne la tournure qu’on amène, c’est de la rudesse.
A l’inverse, le leader doit incorporer le service à son jeu, sinon, c’est un refus.
Chacun sa part, donnant-donnant… Ce paragraphe va tout particulièrement bien avec le suivant :
-Le service doit avoir pour but de rendre l’autre autonome.
Un-e serveur-e qui se rend indispensable à l’histoire… C’est un-e leader-e. Ce qui correspond au service « Vol de lead. »
Pour éviter de vous rendre indispensable, apportez du grain au moulin, pas de la farine. Évitez de prendre en charge l’autre ou de prendre trop de décisions qui vont courber l’histoire. Donc…Ne faites pas plus de la moitié du boulot et laisser au-à la leader-e la liberté de faire ce qu’il-le veut de ce que vous lui apportez…
-Ce service doit comporter une contrepartie afin que l’autre ne se sente pas en dette (et vous « bien brave »…)
Alternez les rôles. Ne vous posez pas systématiquement en leader-e ou en serveur-e. Que vous puissiez bénéficier aussi des services des autres et vice-versa. Que vous contribuiez à mettre en valeur les autres, leurs idées, leurs compétences et vice- versa. Ou alors, faites vous payer… C’est sur cela que repose le secteur tertiaire et l’économie de service… Mais en impro, alternez les rôles est quand même la solution la plus durable. (Vous en connaissez beaucoup des groupes d’impro où on accepte que ce soit toujours les même qui incarne les héros-héroïnes ?) Faire attention à cette alternance est un des rôles du-de la coach en match d’impro. Il-le s’aide pour cela de la feuille qu’il-le rempli à chaque impro.
Utilisées au quotidien, en famille, avec les amis et les collègues, les règles régissant l’aide permettent d’éviter de tomber dans le sauvetage et sont des verrous de sauvegarde de relations saines. En impro, elles me paraissent être de bonne garantes de la qualité des services et d’un esprit de jeu généreux.
Alors désormais ma blague aura aussi sa place dans mes ateliers…
Biblio et pistes de réflexion:
- Berne. Que dites-vous après avoir dit bonjour ?, Ed.Tchou, 1999.
- Tournier, Manuel d’improvisation théatrâle, Editions de l’eau vive, 2003
- La version imprimée d’une compilation d’ateliers d’une troupe belge dont je n’ai plus aucune référence hélas…
Un commentaire sur “Règles de l’aide, règles du service.”